Texte: Juha-Heikki Tihinen
L’art de Tiina Heista révèle sa profondeur par touches furtives, comme pour séduire son observateur. Au premier abord, les œuvres semblent calmes et posées, mais rapidement on y entrevoit un courant ou un mouvement qui produit un sentiment d’excitation et d’anticipation chez l’observateur. Que se passe-t-il dans ces images ? Quel sera le dernier rebondissement de l’intrigue ? Tiina Heiskä n’apporte pas de réponse explicite à ces questions, mais elle abandonne son public à une incertitude piquante. Son art ne se prête pas aux explications simples ou à une catharsis limpide. Le plaisir des yeux que l’on retire de son art est tout autant passionnel qu’intellectuellement exigeant.
La femme ou la fille de ses peintures – son âge semble varier selon les œuvres – est basée sur les photographies que l’artiste prend d’elle-même. Mais la femme des peintures n’est pas seulement Tiina Heiska, elle est différente, peut-être un alter ego ou un personnage de fiction. La femme des tableaux a sa propre vie, illustrée dans les séries de peintures. La silhouette semblant être un reflet de miroir, voire un sosie, n’est pas dans ces peintures uniquement un non-moi (envoyée de la mort) ou une métaphore, mais une protagoniste frappée d’un sceau étrange et mélancolique. Dans nombre de ses peintures, l’effet de miroir ou de reflet prend une signification plus forte, il devient une technique picturale qui permet à l’artiste d’étudier le monde visible. Elle traite le processus de naissance des peintures et l’éternel jeu de l’identité et du genre.
Depuis quelques années, Tiina Heiska peint des séries dans lesquelles ses thèmes évoluent d’une peinture à l’autre et son expression est devenue plus cinématique et fluide. Elle est intéressée par des espaces dans lesquels on peut ressentir la présence de l’autre mais sans la voir. On retrouve dans ces tableaux cette sensation de présence invisible, parfois menaçante parfois excitante, voire provocatrice. Dans les œuvres de la série Hôtel, un décor d’hôtel anonyme flirte avec le personnage féminin dont les bottes noires ou les boucles foncées jouent le rôle d’un masque à la manière des films d’Hitchcock. La femme des peintures de Tiina Heiska est lointaine, belle et désirable. Les vedettes féminines d’Hitchcock baignaient dans l’adoration des caméras, qui les transformaient en des archétypes glacés à la sexualité sublime. Tiina Heiska ne tente pas de reproduire le même effet, mais ses silhouettes sont tout aussi hors d’atteinte, indépendamment de leur aspect charnel. Les vêtements féminins chargés de symboles – bottes, talons aiguille, mini-jupes – sont des accessoires de travestis et nous ne voyons jamais entièrement les traits de cette femme ; elle les garde pour elle-même. Pour son observateur, elle représente une belle énigme, tout aussi fascinante que menaçante. Elle rappelle une identité dont on exigerait pérennité et vérité. La pérennité ne peut toutefois jamais être atteinte et la mélancolie reste donc notre compagne à jamais.
Les souvenirs sont un bon parallèle pour ces peintures. La mémoire nous fait défaut, nous oublions des choses, mais il nous reste cependant toujours des souvenirs précis et porteurs de sens. Les souvenirs permettent de procéder à une auto-analyse ; ils aident à découvrir des choses étonnantes sur soi-même dans le présent à travers le passé. Dans les peintures de Tiina Heiska la mémoire et le passé se mélangent à un futur qu’il reste encore à dévoiler. Ses œuvres nous donnent la possibilité de partir à la recherche de nous-mêmes et de nos propres discontinuités.
Juha-Heikki Tihinen, Historien d’art